Retour en Grèce

6/1/1945

 

Malgré l'offensive allemande, les événements de Grèce ont retenu l'attention du monde. Ils avaient, peut-être, en effet, une portée beaucoup plus profonde que cette offensive. Nous ne voulons pas minimiser celle-ci.  Elle a, au dire des milieux britanniques, prolongé de 3 à 6 mois la durée des hostilités : c'est assez tragique. Nous pensons avec angoisse à ce qu'on souffert nos amis belges et luxembourgeois, et quand Sedan fut menacé, nous avons tremblé pour notre sol. Mais cette offensive ne peut que retarder une défaite certaine. Elle ne change rien, du moins pour le moment, dans le jeu de la politique internationale.

Les événements de Grèce peuvent avoir une portée plus profonde. Ils sont, pour le moment, nous l'avons exposé ici, une réaction purement hellénique. Mais ils se situent en un des points névralgiques du globe. Comme l'Inde est le foyer de toutes les épidémies on peut dire que la région des Balkans est  le lieu de contamination de toutes les guerres. Jusqu'à cette guerre-ci, elles y avaient toutes trouvé, sinon leur raison profonde, au moins leur prétexte.

Ici se heurtent, en effet, les intérêts vitaux des puissances. Pour l'Angleterre, c'est la fameuse politique des routes. Elle tient à garder une prépondérance absolue sur la Méditerranée. Cette mer est le chemin des Indes.  Évidemment l'Angleterre attache moins d'importance qu'autrefois  à cette route. Certains débats au Parlement, avant la guerre, furent à ce point de vue révélateurs. Le grand chemin impérial à présent, passe par Le Cap et non par Suez. Elle n'en maintient pas moins, au premier plan de ses préoccupations, le maintien de sa prépondérance de Gibraltar à Aden.

Dans ce souci, elle se heurte fatalement aux puissances continentales qui se cherchent un débouché vers la mer. Ce fut, à certaines époques, l'origine d'une tension entre elle et l'Empire des Habsbourg. Ce fut surtout, la cause des alternatives de rapprochement et d'hostilités entre elle et la Russie.

Nous l'avons dit ici même : une préoccupation domine la politique russe à travers l'histoire, la recherche de la mer libre. Une fenêtre sur la Méditerranée est un de ses objectifs permanents. L'opposition de ces intérêts est la fameuse question d'Orient qui remplit nos manuels.

À ce point de vue, le maintien d'un état de trouble en Grèce est une menace pour la paix future. Nous savons avec quelle facilité les révolutions intérieures dégénèrent en conflits internationaux. Aujourd'hui, la guerre civile en Grèce est un problème proprement hellénique. Il ne faudrait pas qu'elle dégénère, lorsque l'Allemagne sera vaincue, en un conflit entre Puissances.

Les dirigeants anglais l'ont bien vu. Ils proposent deux remèdes qui prouvent leur sagesse politique. En premier lieu, MM. Churchill et Roosevelt et le Maréchal Staline doivent se rencontrer en janvier pour traiter plus spécialement le problème. C'est une sage politique de prévention. Ils concilieront leurs intérêts avant qu'ils ne dégénèrent en conflit. En second lieu, une sorte de tutelle des trois puissances serait établie sur la Grèce jusqu'à ce qu'elle se montre à nouveau capable de se gouverner elle-même.

La question d'Orient, en effet, ne peut trouver de solution que par des moyens proprement internationaux. Il faut, en effet, assurer un condominium partout où la prépondérance d'un seul lèse les autres. À ce point de vue, les solutions proposées par M. Churchill sont un heureux précédent.

Il est à souhaiter, pour la paix future, que ces solutions internationales prévalent, et plus particulièrement en ce qui concerne le point le plus névralgique de ces régions : Salonique. Aucun pays ne peut tolérer qu'un autre domine sur cette rade essentielle. Il faudrait lui donner un statut analogue à celui de Tanger, ce statut  de Tanger que le général Franco a si impunément violé.

Si les événements de Grèce sont l'occasion pour les Alliés de prévenir, par des solutions de cet ordre, les conflits future, ils seront vraiment le mal dont on aura su tirer un bien. Il ne faut, en effet, à aucun prix, que ce conflit purement hellénique ne devienne une source de difficultés internationales. C'est ce qui fait leur importance profonde et l'intérêt avec lequel nous suivrons la prochaine rencontre des chefs des trois principaux pays engagés dans la guerre.